Trouver ou développer sa passion ? Petit guide de lâcher-prise pour en finir avec les plans de carrière à plus de 30 ans

Trouver sa passion semble devenir une injonction commune pour réussir son projet professionnel. Il s'agit pourtant d'une mission impossible et il semble préférable de développer sa passion au fil du temps.
Image mise en avant pour l'article "Trouver ou développer sa passion pour réussir sa carrière" de David Vellut, psychologue, conseiller pédagogique et médiateur scientifique en psychologie.

Table des matières

Lorsque nous entrons sur le marché du travail, une injonction semble dominer : trouver sa passion, et faire en sorte d’aligner celle-ci avec le développement de notre carrière. Même la citation attribuée à Confucius (« Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. ») nous est refourguée à toutes les sauces. Plus facile à dire qu’à faire ? Et s’il était possible – voire même préférable – de ne pas trouver sa passion, pour au contraire développer sa passion au fil du temps ?

En 2004, parallèlement à mes études en psychologie, je m’engage comme bénévole dans plusieurs projets. J’anime notamment des week-ends pour des jeunes souhaitant réaliser un projet de volontariat international, ayant moi-même vécu cette expérience quelques mois auparavant. Les années passent et, une fois mon diplôme en poche, on me propose un poste d’assistant de recherche. Je saute sur cette opportunité, ayant comme perspective de me lancer dans un doctorat.

Malheureusement – ou heureusement c’est selon – je me rends compte assez vite que le métier de chercheur ne me correspond pas. Après avoir passé quelques années dans le milieu académique, mon contrat arrive à son terme et je me retrouve chercheur… d’emploi !

Confronté à la nécessité d’avancer malgré tout, je fais le point : gardant un chouette souvenir des week-ends de formation que j’animais en tant que bénévole, et poussé par le désir de lancer mon propre projet, je me lance comme formateur et consultant indépendant. Par la suite, je rencontre mon épouse Sandrine (alors coach, indépendante elle aussi). Nous décidons d’unir nos forces, aussi bien d’un point de vue personnel que professionnel, et j’en profite pour rajouter le coaching comme nouvelle corde à mon arc.

Puis, en 2017, rien ne va plus. Si j’adore mon métier, je suis épuisé par le versant entrepreneurial de celui-ci. Et, si j’aime mon épouse, le côté « vivre ensemble » et « travailler ensemble » a du mal à fonctionner et provoque de trop nombreuses tensions. Avec beaucoup de difficulté, je décide donc de mettre un terme à mon activité, avec l’impression de me retrouver à nouveau à la case départ.

Après quelques mois, je zappe mon flux Facebook et je vois passer une annonce. Une ancienne collègue recherche un chargé de projets pour développer des cours en ligne à l’université. Intéressé, je postule. Et au bout de la procédure, me revoici engagé dans l’université au sein de laquelle j’avais étudié et exercé comme assistant de recherche. Parallèlement à ça, toujours dans une optique d’aide et de partage, il me prend l’envie de tester la vulgarisation scientifique… et nous y voilà !

Trouver sa passion ou sa mission de vie : mission impossible !

Trouver sa passion ou sa mission de vie est, à mon humble opinion, pratiquement mission impossible. La vie n’est ni une autoroute toute tracée, ni un long fleuve tranquille.

Pourquoi je vous raconte tout cela ? Pour vous aider à prendre conscience que trouver sa passion ou sa mission de vie est, à mon humble opinion, pratiquement mission impossible. La vie n’est ni une autoroute toute tracée, ni un long fleuve tranquille. Vous avez envie ou besoin de faire un arrêt sur la bande d’arrêt d’urgence ? De faire une pause WC et de refaire le plein à la station-service ? Ou encore d’emprunter la prochaine sortie pour changer de route, quitte à y revenir éventuellement au bout de quelques kilomètres ? OUI, c’est permis. OUI, vous y êtes autorisé. NON, rien ne vous y empêche.

Gardez juste ceci en tête : ce n’est pas parce que vous empruntez une route une fois qu’elle doit définir votre chemin jusqu’à la fin de vos jours. Et je ne suis pas un cas isolé. Si vous voulez d’autres exemples, je vous invite à écouter cet épisode du podcast WorkLife de Adam Grant, psychologue organisationnel et professeur à la Wharton School :

The perils of following your career passion. Téléchargé le 19/05/2019 depuis le podcast WorkLife de Adam Grant.

À force de vouloir trouver LE bon chemin, vous risquer de ruminer, de procrastiner, et de passer à côté de chouettes potentielles opportunités. Au lieu de trouver sa passion, développer sa passion – en s’autorisant des erreurs et des allers-retours – me semble donc une perspective bien plus concrète et réaliste.

Trouver ou développer sa passion ? L’influence des états d’esprits sur la recherche d’intérêts

En 2018, Paul O’Keefe (Université de Yale), Carol Dweck et Gregory Walton (Université de Stanford) ont publié une recherche((O’Keefe, P.A., Dweck, C.S. & Walton, G.M. (2018). Implicit theories of interest: Finding your passion or developing it? Psychological Science, 29(10), 1653-1664.)) visant à déterminer l’influence des états d’esprits sur le développement des intérêts.

À travers une série de cinq études, les auteurs se sont intéressés aux implications des croyances cachées derrière la recherche d’une « passion » : les individus faisant preuve d’un état d’esprit fixe seraient peu enclins à explorer d’autres passions ou d’autres centres d’intérêts, contrairement à ceux faisant preuve d’un état d’esprit de développement. Ils ont également cherché à examiner le degré de motivation des sujets, ainsi que le niveau de difficulté et de frustration exprimé par ceux-ci lorsqu’ils cherchent à atteindre un objectif.

Grosso modo, on peut résumer leurs résultats comme suit. Adopter un état d’esprit de développement favoriserait :

  • L’ouverture à de nouveaux intérêts : croire que les intérêts sont fixes suggère que les personnes ont des intérêts limités, déterminés, et aucun autre. Adopter un état d’esprit fixe est donc associé à moins de recherche d’intérêts, autres que ceux déjà pré-existant.
  • Une meilleure anticipation des difficultés : plus les sujets adoptent un état d’esprit fixe, plus ils croient que poursuivre sa passion assure une motivation infinie. Au contraire, plus les sujets adoptent un état d’esprit de développement, plus ils anticipent le fait que poursuivre sa passion implique des frustrations et des difficultés à un moment ou un autre.
  • Un meilleur degré de persévérance face à l’adversité : lorsqu’ils explorent un nouvel intérêt potentiel, les sujets adoptant un état d’esprit fixe sont plus enclins à baisser les bras dès la moindre difficulté. Les sujets qui adoptent un état d’esprit de développement ont, quant à eux, des croyances plus réalistes concernant la poursuite d’un nouvel intérêt. Cette manière de voir les choses leur permet de conserver un certain degré d’engagement lorsque le nouvel intérêt présente un défi ou un degré de complexité plus élevé.
L'influence d'un état d'esprit de développement dans la recherche d'intérêts. Image illustrant les 3 facteurs favorisés par un état d'esprit de développement. Traduit et adapté d'après O'Keefe, Dweck & Walton (2018). Image sous licence CC-BY, réalisée par David Vellut, psychologue, conseiller pédagogique et médiateur scientifique en psychologie.
L’influence d’un état d’esprit de développement dans la recherche d’intérêts. Traduit et adapté d’après O’Keefe, Dweck et Walton (2018). Image sous licence Creative Commons (CC-BY).

Même s’il vous est parfois proposé avec de bonnes intentions, le message consistant à croire qu’il suffit de « poursuivre sa passion » ou « trouver sa mission de vie » est inconsistant. Voire même dangereux, dans la mesure où il risque de vous enfermer dans un système de croyances à sens unique.

Ok, donc développer sa passion (plutôt que d’essayer de la trouver) semble une piste plus judicieuse. Mais que faire, et comment y arriver ?…

Développer sa passion : 5 conseils pour arrêter de ruminer et (re)lancer votre carrière

1. Arrêtez de poursuivre le bonheur à tout prix

Au travers de deux études publiées en 2012, Iris Mauss (Université de Denver) et ses collègues ont observé que les personnes cherchant le bonheur à tout prix encourent un risque sérieux((Mauss, I.B., Savino, N.S., Anderson, C.L., Weisbuch, M., Tamir, M. & Laudenslager, M.L. (2012). The pursuit of happiness can be lonely. Emotion, 12(5), 908-912.)) : celui de se retrouver isolés… et donc malheureux. L’injonction paradoxale du bonheur à tout prix, si elle est monnaie courante dans notre société, n’est donc pas là pour nous servir. À force de rester focalisés sur LE truc qui vous fera kiffer grave, vous risquez non seulement de passer à côté d’opportunités potentiellement sympathiques, mais aussi de vous retrouver déconnecté au niveau social. Le bonheur se construit, se développe et se cultive à partir de ce qui se présente à vous maintenant… pas dans 10 ans. Parfois, le bonheur consiste donc à trouver un bon job dans lequel vous vous plaisez bien, et pas d’attendre LE job parfait (qui, soit dit en passant, n’existe probablement pas).

2. Relativisez les « success stories »

Contrairement au bullshit que peuvent véhiculer certains vendeurs de rêves, le succès n’arrive pas du jour au lendemain. Vous entendez quelqu’un se vanter de sa réussite ? S’il est très tentant d’y croire, creusez l’histoire de la personne. Il y a fort à parier que son succès ne se soit pas construit en un jour. Dans un rapport de 2014, Benjamin Jones (Kellogg School of Management) observe que, chez des scientifiques, la probabilité d’obtenir un prix Nobel augmente avec l’âge((Jones, B., Reedy, E.J. & Weinberg, B.A. (2014). Age and scientific genius. National Bureau of Economic Research, Working Paper No. 19866.)). Autrement dit : ce sont les efforts, la mise en place d’une pratique délibérée et régulière, ainsi que le développement en continu des compétences et expertises qui favorisent la réussite.

3. N’attendez pas que l’univers vous réponde ou vous envoie un signe

Certains d’entre vous seraient peut-être tentés de laisser le destin (ou Dieu) les guider, d’autres s’en remettront à des incantations faites à l’univers. Sans vouloir rentrer dans un débat religieux ou spirituel, il y a, me semble-t-il, une limite à ce que la croyance ou la foi peuvent réellement apporter. À toutes fins utiles, soyez conscients que la recherche décrit ce facteur comme un prédicteur négatif d’efficacité en terme d’orientation professionnelle. Rechercher des informations, s’autoévaluer et faire un bilan de compétences, s’engager dans une démarche active… tels sont les facteurs qui favorisent vos chances de trouver un emploi qui vous corresponde ou de créer votre propre projet.

4. Posez-vous les bonnes questions

Développer sa passion, c’est aussi prendre le temps de la réflexion. Plutôt que de foncer tête baissée, posez-vous histoire de faire le point et de vous poser les bonnes questions((Dik, B.J., Duffy, R.D. & Eldridge, B.M. (2009). Calling and vocation in career counseling: Recommendations for promoting meaningful work. Professional Psychology: Research and Practice, 40(6), 625-632.)) :

  • Lorsque vous évaluez des options de carrière, quels sont les facteurs les plus importants ?
  • Quand et comment saurez-vous que vous avez trouvé une carrière qui vous corresponde ?
  • Lorsque vous pensez à vos activités professionnelles (ou extra-professionnelles) passées ou présentes, dans quelle mesure y trouviez-vous du sens ?
  • Qu’est-ce qui pourrait apporter plus de sens à votre emploi ou à votre carrière ?
  • Dans la vie, qu’est-ce qui est le plus important pour vous ?

5. Identifiez et mettez en action vos talents

Tout au long de votre scolarité et de votre carrière, il y a fort à parier qu’on vous ait fait part de vos points faibles (ou vos points d’amélioration). S’il n’est pas judicieux de les laisser aux oubliettes, il est aussi important de prendre conscience de vos points forts, de vos talents (car OUI, vous avez des talents). En les identifiant et en les travaillant, vous arriverez à mieux repérer les postes et les environnements de travail qui favoriseront votre satisfaction et votre bien-être. Sans compter que cela vous permettra aussi d’aménager votre emploi en fonction de ce pour quoi vous êtes naturellement doué, et donc d’y trouver au final plus de sens.

Au-delà des exercices existants pour identifiez vos talents, n’hésitez pas à vous aider de tests psychologiques valides et fiables, notamment :

Pour développer sa passion : oser, tester et rester curieux

Plutôt que de trouver sa mission de vie, développer sa passion semble une option plus réaliste et efficace : les passions et les centres d’intérêts se cultivent, se développent et évoluent aussi avec le temps.

Choisir une trajectoire professionnelle n’est pas chose aisée pour la majorité d’entre nous. S’il peut être tentant – voire séduisant – de croire qu’il faille trouver sa passion ou sa « mission de vie » pour vivre heureux et épanouis, dans la majorité des situations il s’agit d’une utopie qui peut s’avérer dangereuse et contre-productive. Développer sa passion, plutôt que de la trouver, semble donc une option plus réaliste et efficace : les passions et les centres d’intérêts se cultivent, se développent et évoluent aussi avec le temps.

Testez un maximum de choses (dans la sphère privée et professionnelle), restez activement ouvert aux nouvelles rencontres et aux nouvelles opportunités, prêtez attention à ce que vous vous reconnaissez (et ce que les autres vous reconnaissent) comme qualités, comme talents, comme compétences.

Et surtout, faites ce qui vous semble bon, pour vous !

En résumé

  1. L’injonction paradoxale du bonheur à tout prix (« suivre sa passion », « trouver sa mission de vie »…) est omniprésente dans notre société. Elle part du principe que, si nous réussissons à trouver notre passion, nous serons plus heureux et engagés.
  2. Pourtant, à force de rester focalisé sur un seul but, un seul centre d’intérêt, une seule passion… nous augmentons les chances d’adopter un état d’esprit fixe. Nous nous fermons alors aux nouvelles expériences et nous créons des croyances irréalistes qui limitent notre persévérance face aux défis que nous rencontrons.
  3. Au contraire, adopter un état d’esprit de développement nous aide à rester ouverts, à anticiper les difficultés et à y faire face le moment venu. Pour développer cet état d’esprit, il est important de rester dans un processus d’ouverture et d’engagement actif, d’identifier nos talents, et d’accepter que LA passion ou LE plan de carrière parfait n’existe pas : il se construit, se développe et se cultive, avec le temps.
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