L’art d’en faire un peu, mais pas trop à la fois : comment développer sa volonté sans se décourager

Notre degré de volonté serait à la fois une ressource limitée et un muscle à entraîner. Pour éviter de le drainer, il semble préférable d'exercer et de développer sa volonté de manière modérée et régulière.
Image mise en avant pour l'article "Comment développer sa volonté sans se décourager" de David Vellut, psychologue, conseiller pédagogique et médiateur scientifique en psychologie.

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Comment atteindre ses objectifs et mettre en place de nouvelles habitudes ? Plutôt que de formuler de « bonnes » résolutions, certains d’entre vous ont peut-être pris la décision de formuler des implémentations d’intention. Évidemment, c’est mieux que rien, même si l’élément crucial reste le passage à l’action. Dans ces moments là, exercer et développer sa volonté sur le long terme pourrait vous aider à tenir le cap. Mais à force de vouloir en faire trop, attention de ne pas vous brûler les ailes.

En juillet 2017, mon épouse et moi-même avons pris une grande décision : prendre de meilleures habitudes alimentaires, mettre un terme à la malbouffe, et en finir avec les achats compulsifs au supermarché. Jusqu’à présent, nous avons globalement réussi à tenir cet engagement de manière mutuelle : nous avons tous deux perdu du poids de manière significative, nous avons retrouvé un meilleur niveau de bien-être… et le plaisir de pouvoir enfin rentrer dans des tenues vestimentaires que nous pensions perdues à jamais.

Opérer un tel changement n’a pas toujours été simple, car entre autres faiblesses j’avoue être attiré de manière non dissimulée par… le chocolat ! En particulier, la tablette “70% avec éclats de cacao” de la marque Galler a le don de titiller mes papilles gustatives. Si je m’écoutais, je serais capable d’en consommer l’entièreté en un coup, bien conscient des conséquences qu’une telle action entraînerait : maux de ventre, écoeurement… et potentiellement une belle crise de foie !

Pourtant, jusqu’ici je réussis à me satisfaire de mon carré de chocolat en fin de repas, comme seul et unique dessert. Pour avoir été un addict au sucre pendant des années, je peux vous assurer que cela n’a pas été une mince affaire. Au quotidien, cela reste encore un défi, même si le temps, la patience et la persistance font de plus en plus leur effet.

Quel rapport avec la choucroute, me demanderez-vous ? Et bien, c’est ce que nous allons voir tout de suite !

Développer sa volonté avec la gratification différée : vous reprendrez bien un marshmallow ?

Au début des années 1970, Walter Mischel – alors professeur à l’Université de Stanford – s’est lancé dans une série d’études qui ont bouleversé la recherche en psychologie. Il a ainsi mis au point un design expérimental, répliqué maintes fois depuis lors : le fameux test du Marshmallow((Mischel, W. (2014). The marshmallow test: Understanding self-control and how to master it. Croydon: Penguin Random House.)).

The marshmallow test (par Igniter Media). Téléchargé le 01/02/2019 depuis la chaine YouTube Igniter Media.

Cette série d’études s’est penché sur le phénomène de gratification différée, c’est-à-dire notre capacité à résister à une tentation de récompense immédiate pour obtenir une récompense plus tard.

Particulièrement étudié chez l’enfant, ce phénomène s’est révélé d’une importance cruciale : dans des études de suivi sur le long terme, Walter Mischel s’est aperçu que les enfants ayant résisté à la tentation de consommer le marshmallow immédiatement rapportaient de meilleurs résultats à des tests d’évaluation scolaire. Une fois arrivés à l’âge adulte, ils obtenaient également des niveaux de réussite plus élevés (notamment en matière de finances personnelles et d’habitudes alimentaires) que les enfants ayant succombé à la tentation de manger le marshmallow tout de suite((Psychology Wiki. Stanford marshmallow experiment. Consulté le 17/02/2018.)).

Suffirait-il donc de résister aux tentations qui se présentent à nous pour mieux réussir dans nos vies ? Oui… et non, car la réponse à cette question n’est ni blanc ni noir.

N.B. Plusieurs études questionnent le bien fondé de ce champ de recherche. Pour certains, le fait de résister à une tentation immédiate serait fonction de la situation financière des sujets. Pour d’autres, il serait question de personnes ayant déjà développé de « bonnes » habitudes. S’il est trop tôt pour tirer des conclusions, gardez à l’esprit que les résultats dans ce domaine sont en pleine évolution.

La volonté constitue-t-elle une ressource limitée ou un muscle à développer ?

La gratification différée fait indéniablement référence à l’exercice de notre volonté. Et, encore à ce jour, les chercheurs en psychologie ont du mal à s’accorder sur l’origine de notre volonté et son fonctionnement.

  • Pour certains, notre volonté constitue une ressource limitée, à l’image d’une batterie de smartphone. Une fois déchargée nous aurions besoin de la brancher et d’attendre le temps nécessaire à sa recharge pour pouvoir l’utiliser à nouveau. C’est ce qui se produit à chaque fois que nous sommes tentés de faire un écart : choisir de manger un hamburger plutôt qu’une salade, choisir de rester assis devant la TV plutôt que de sortir marcher 30 minutes, etc. Chaque choix impliquant notre volonté affaiblirait celle-ci au fil du temps.
  • Pour d’autres, au contraire, exercer notre volonté de notre plein gré permettrait de développer celle-ci au fil du temps. Tout comme des entraînements de musculation permettent de développer nos muscles jusqu’à obtenir une silhouette divine et sculptée, notre volonté aurait besoin d’exercices réguliers : ainsi, le fait de manger une salade (au lieu d’un hamburger) et de sortir marcher 30 minutes (au lieu de rester assis devant la TV) augmenterait notre niveau de motivation et de confiance en soi sur le long terme.

Alors, qui a raison et qui a tort ? Pas si simple de répondre à cette question. Et si les deux camps avaient raison ?…

Pour développer sa volonté, en faire un peu vaut mieux que d’en faire trop d’un coup

Face à ces constats à priori contradictoires, Marco Palma, directeur du Human Behavior Lab, a étudié avec son équipe la possibilité de concilier ces deux courants. Dans une recherche publiée en 2017, ils ont mené une expérience qui s’est déroulée en deux temps((Palma, M.A., Segovia, M.S., Kassas, B., Ribera, L.A. & Hall, C.R. (2017). Self-control: Knowledge or perishable resource? Journal of Economic Behavior & Organization, 145, 80-95.)) :

  1. Dans un premier temps, ils ont demandé aux participants d’exercer leur volonté en se concentrant sur une cible visuelle située dans le bas d’un écran d’ordinateur, et ce pendant 6 ou 30 minutes. À l’aide de mesures biométriques (notamment les mouvements des yeux ainsi qu’un électro-encéphalogramme), ils ont été en mesure de détecter finement si les sujets restaient ou non concentrés sur la cible, et de calculer ainsi leur niveau de volonté.
  2. Dans un second temps, les participants ont réalisé une tâche mettant en jeu un comportement d’achat impulsif : soit ils conservaient un billet de 5$, soit ils décidaient de le dépenser immédiatement en achetant un item qui leur était présenté.

Après analyse des résultats, les chercheurs arrivent à la conclusion que notre degré de volonté est à la fois une ressource limitée ET à développer :

  • Au début, rester concentré sur la cible est assez facile. Puis, plus le temps passe, plus les participants ont du mal à rester concentrés. Jusqu’au moment où ils atteignent un seuil d’épuisement (leur “batterie” se décharge complètement). Une fois ce seuil dépassé, ils présentent davantage de risques de succomber à des comportements d’achat impulsif par la suite.
  • Au contraire, les participants qui s’arrêtent AVANT d’atteindre le seuil d’épuisement (ceux qui n’épuisent pas leur niveau de volonté) arrivent à mieux réfréner leurs ardeurs dans la seconde partie de l’expérience. Et donc, à mieux résister à la tentation d’achats.

Pour éviter de drainer notre niveau de volonté, il serait préférable d’exercer notre volonté de manière modérée et régulière. En faire, oui… mais un peu régulièrement, pas trop, ni trop d’un coup.

Les conclusions formulées par les chercheurs vont donc dans le sens d’une intégration des deux camps : faire preuve de volonté au début permet de faciliter l’exercice de celle-ci par la suite. Mais en exercer trop (et de manière trop intensive) augmente les risques d’abandon à l’avenir. Si vous êtes adepte de « L’Art du Rangement avec Marie Kondo », vous en avez peut-être déjà fait l’expérience. Dit autrement : mieux vaut en faire un peu régulièrement, que d’en faire trop d’un coup… et d’être complètement dégoûté ou découragé.

Sur ce, je vous ressers un morceau de chocolat ?…

En résumé

  1. Le phénomène de gratification différée décrit notre capacité à résister à une tentation de récompense immédiate pour obtenir une récompense plus tard. Le fait d’exercer un contrôle sur notre volonté nous permettrait d’augmenter nos chances de réussir dans la vie.
  2. Plutôt que de trancher fermement entre les deux tenants de ce champ de recherche, les auteurs de l’étude présentée dans cet article ouvrent la voie à un modèle intégratif : notre degré de volonté serait à la fois une ressource limitée ET un muscle à développer, à entraîner.
  3. Pour éviter de drainer notre niveau de volonté (et ainsi minimiser le risque de dépasser notre seuil d’épuisement), il serait préférable d’exercer notre volonté de manière modérée et régulière. En faire, oui… mais un peu régulièrement, pas trop, ni trop d’un coup.
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