Si les coûts de production d’un Serious Game tendent à diminuer, le budget à prévoir reste quand même relativement important. Étant donné que le marché regorge de jeux vidéos déjà existants, une question se pose : est-il possible de détourner un jeu existant à des fins de serious gaming ? C’est cette question qui nous a amené à tester la pertinence d’utiliser World of Warcraft en formation.
« Quel budget pensez-vous devoir investir pour utiliser un Serious Game dans votre entreprise ? »
C’est la première question que nous avons posé au public lors de la conférence SeriousGame.be 2013 à Namur. Et les réponses ne se sont pas fait attendre : plus des deux tiers de l’assemblée pensent que le budget pour jouer sérieusement en entreprise dépasse 10.000€, pour atteindre parfois plus de 100.000€. Environ 10% du public a toutefois soulevé la possibilité d’utiliser un Serious Game pour… 0€ !
Selon le FEFAUR, le budget de développement d’un Serious Game en France était en 2010 d’environ 83.000€. Même si l’on observe une diminution de ce coût au fil des années, le ticket d’entrée reste encore beaucoup trop élevé pour la grande majorité des organisations. Au vu de ce constat, Xavier Van Dieren (NOW.be) et moi-même nous sommes posé il y a quelques mois la question suivante : serait-il possible de jouer sérieusement pour un budget de 0€, ou en tout cas le plus faible possible ?…
Pour cela, nous sommes partis du principe que le marché actuel regorge de jeux vidéos déjà existants. Il suffit de vous rendre dans la plupart des grandes surfaces, ou enseignes spécialisées comme la Fnac, pour vous en rendre compte. Parmi les dizaines de jeux déjà disponibles, il y en a un qui a retenu notre attention : World of Warcraft, un jeu de rôles en ligne massivement multijoueurs (MMORPG). Un jeu aux propriétés particulièrement avantageuses, selon notre point de vue.
World of Warcraft en formation : comment détourner un jeu existant à des fins de Serious Gaming
En partant de l’hypothèse qu’il serait possible de détourner un jeu vidéo grand public déjà existant, nous avons choisi de tester l’utilisation de World of Warcraft pour mener cette expérience.
Quelques mots à propos du jeu : il s’agit d’un jeu de rôles en ligne massivement multijoueurs (MMORPG) dont l’objectif est de créer un personnage et de le faire évoluer jusqu’au niveau 90 à travers plusieurs séries de quêtes. Chaque fois qu’une quête est accomplie et que le joueur passe au niveau supérieur, son personnage gagne en expertise et en compétences (nouveaux sorts, nouveaux coups, nouvelles armes…). Produit par le studio Blizzard, World of Warcraft compte, à ce jour, plus de 12 millions de joueurs dans le monde entier.
Pourquoi utiliser World of Warcraft en formation dans votre entreprise ?
Comparé à d’autres jeux, World of Warcraft compte un certain nombre d’avantages. De notre côté, nous avons isolé 7 raisons pour lesquelles vous pourriez le détourner afin de l’utiliser comme Serious Game au sein de votre organisation :
1. Une économie de développement
Un jeu comme World of Warcraft représente un budget de développement d’environ 50 millions de dollars : un budget énorme qu’aucune entreprise dans le monde n’aurait les moyens d’investir pour la formation de ses collaborateurs. Nous avons donc ici un jeu complet, abouti et aux fonctionnalités avancées, qui pourrait difficilement rivaliser avec un Serious Game fait « maison ».
2. Peu d’exigences matérielles requises
Contrairement à d’autres jeux, World of Warcraft ne nécessite qu’une configuration de base : ordinateur sous Windows (ou Mac), processeur 1.5 GHz, 2 Go de mémoire RAM, carte graphique 128 Mo, 25 Go d’espace libre sur le disque dur, carte son, clavier et souris (éventuellement un casque-micro). Du matériel relativement abordable, dont la plupart des organisations sont déjà équipées. Pas besoin donc d’investir des sommes matérielles importantes et de renouveler votre parc informatique.
3. Les 20 premiers niveaux sont entièrement gratuits
World of Warcraft est entièrement jouable jusqu’au niveau 20, et ce gratuitement. Un niveau bien suffisant pour pouvoir l’utiliser dans un dispositif pédagogique, même étalé sur plusieurs sessions. Il suffit de se créer un compte sur le site de l’éditeur Blizzard, télécharger le jeu, l’installer… et c’est parti ! Quelques fonctions sont absentes dans la version gratuite, mais rien de primordial ou d’handicapant.
4. Un environnement de jeu incroyablement immersif
En comparaison à d’autres jeux du même gabarit, World of Warcraft est l’un de ceux qui propose des environnements parmi les plus immersifs : paysages somptueux, cartes de jeu énormes, bandes-son dignes d’une production hollywoodienne… On sent que le jeu a été étudié pour permettre au joueur de se laisser entrainer dans une expérience ludique grandiose et hors du commun.
5. Un panel d’outils déjà intégrés
World of Warcraft intègre déjà dans son interface toute une série d’outils de communication : chat texte, audio et vidéo; système de messagerie privée; possibilité de créer des groupes de 5, 10, voire 25 joueurs… des outils présents dans la plupart des LMS.
6. Une prise en main relativement accessible
Pour peu que le joueur ait le temps de s’habituer à l’interface, la prise en main du personnage est relativement simple à apprivoiser. À condition de savoir utiliser un clavier et une souris, la dynamique du gameplay est assez intuitive et conviviale.
7. Une foule d’activités déjà existantes
World of Warcraft regorge d’activités en tous genres : plus de 7000 quêtes, la possibilité pour son personnage d’apprendre un métier (ingénieur, tailleur, herboriste…), la réalisation de défis individuels ou de groupes (hauts faits)… pléthore d’activités déjà existantes et prêtes à l’emploi, ce qui permet d’économiser du temps et de l’énergie pour les pédagogues au niveau de la conception d’activités pédagogiques.
World of Warcraft en formation : retour d’expérience d’un détournement de jeu existant
En collaboration avec Pascal Balancier (Agence du Numérique) et le Pr. Marcel Lebrun (Louvain Learning Lab), Xavier Van Dieren et moi-même avons invité une vingtaine de participants à une formation-pilote. Objectif : tester World of Warcraft en formation. Nous avons choisi la thématique du leadership pour élaborer ce dispositif pédagogique.
Concrètement, nous avons divisé cette expérience en trois journées – chaque fois avec un groupe différent d’environ huit participants – organisées dans les locaux de l’Agence du Numérique. Le but étant de pouvoir tester différentes configurations :
- Avec ou sans présentation des participants au début,
- Avec ou sans possibilité pour les participants de communiquer entre eux en face à face,
- Avec ou sans explications préalables concernant le fonctionnement du jeu et de son gameplay…
Globalement, les journées étaient organisées comme suit :
- Première phase de jeu le matin,
- Débriefing de la première phase de jeu,
- Pause-lunch,
- Seconde phase de jeu l’après-midi (sauf pour les groupes 2 et 3),
- Débriefing de la seconde phase de jeu.
World of Warcraft en formation : bilan et perspectives possibles en entreprise
Voici les quatre conclusions majeures qui ressortent de l’étude menée par l’équipe de Marcel Lebrun, en ce qui concerne l’usage de World of Warcraft comme Serious Game en formation (et particulièrement, dans le cas présent, dans la formation au leadership) :
1. La formation a permis d’activer le savoir-être
Lorsqu’on pose la question après coup aux participants, la majorité d’entre eux répondent « Non, nous n’avons rien appris concernant le leadership ! ». Constat fort ennuyeux, mais prévisible vu le court laps de temps qui nous était alloué pour traiter cette thématique (une journée).
Pourtant, s’ils disent n’avoir rien appris (en termes de connaissances), ils confient que, suite à l’expérience, ils ont été plus attentifs à la manière par laquelle ils interagissent et communiquent avec leurs collègues. Ce qui, en soit, constitue déjà un premier pas – et non des moindres – vu que ce sont ici les comportements et attitudes qui ont été activés (ce que les pédagogues traduisent également par savoir-être).
Si le dispositif en tant que tel est évidemment insuffisant pour explorer le leadership et développer les savoirs et savoirs-faire relatifs à ce champ de compétences, il constitue toutefois une excellente entrée en matière pour faire émerger les modes de fonctionnement naturels des participants.
2. Jouer c’est bien, débriefer c’est encore mieux
Si vous lisez ce blog régulièrement, vous ne serez pas surpris lorsque je vous dis que nous n’apprenons rien du jeu, mais du débriefing qui s’en suit. Les recherches l’ont déjà mis en évidence, et nous avons encore eu l’occasion de le vérifier.
En effet, c’est durant le débriefing que les participants ont l’occasion de revenir sur les stratégies mises en place, les modes de communication qu’ils ont utilisés avec les autres, les voies qu’ils pourraient explorer pour éviter certains pièges… Quel que soit le jeu que vous comptez utilisez, ne sacrifiez donc JAMAIS le débriefing. Ceci afin d’éviter que formation fasse un flop monumental !
3. Des thématiques de formation insoupçonnées au départ
Si dans le format développé pour l’occasion le leadership semble bien être difficile à aborder, nous nous sommes rendus compte que WoW peut se prêter à merveille pour toutes sortes de thématiques de formation. Et particulièrement des formations liées à la communication interpersonnelle :
- Cohésion et gestion d’équipes,
- Teambuilding,
- Interculturel et intergénérationnel…
4. Deux facteurs motivationnels inattendus
Si les participants étaient intrinsèquement motivés durant l’expérience, et que celle-ci mettait en place les conditions pour que la tâche à réaliser soit motivante (voir notamment les travaux de Viau et Ambrose), deux éléments ont joué sur la motivation des participants : la configuration de la salle et l’introduction de la journée.
Lors des deux premières journées, nous avons testé une configuration dans laquelle les participants avaient le dos tournés, afin d’observer et analyser leurs réactions. Des conditions peu propices donc à l’émergence d’une communication entre eux. Tandis que pour la dernière journée, nous les avons mis face à face. Les résultats indiquent que les participants se sont sentis davantage motivés dans cette configuration. La disposition des tables, chaises et ordinateurs semble donc jouer un rôle prépondérant dans la création d’interactions.
Durant la dernière journée, nous avons également débuté par une activité brise-glace, afin de permettre aux participants de faire connaissance et de partager leurs attentes par rapport à la journée. Ce facteur semble également important pour favoriser la motivation.
Utiliser World of Warcraft en formation : recommandations et perspectives
Nul doute que cette expérience aura été enrichissante. Voici trois recommandations qui pourraient être formulées si le projet était appelé à se poursuivre :
- Dans le cadre d’une formation au leadership : prévoir plusieurs sessions étalées dans le temps,
- L’importance du débriefing après les sessions de jeux afin d’éviter de se focaliser sur l’outil et faire émerger les apprentissages,
- Dans le format actuel : tester le dispositif pour d’autres thématiques de formation (communication interpersonnelle, cohésion et gestion d’équipes, communication interculturelle et transgénérationnelle, teambuilding…).