La tactique du chef d’orchestre : comment structurer une séquence d’apprentissage en 4 étapes

Toute formation vise à mettre en place les conditions et donner l’occasion aux participants d’apprendre. Pour ce faire, il est nécessaire de savoir comment structurer une séquence d'apprentissage en groupe.
Image mise en avant pour l'article "Comment structurer une séquence d'apprentissage en groupe" de David Vellut, psychologue, conseiller pédagogique et médiateur scientifique en psychologie.

Table des matières

Comment structurer une séquence d’apprentissage ? Lorsqu’on se lance pour la première fois dans une animation de groupes, on se retrouve confronté à la nécessité de devoir gérer pas mal de choses : rythme, timing, dynamique de groupe… Si vous êtes dans le cas, sans doute voyez-vous de quoi je veux parler. Tellement de choses à gérer qu’on en vient parfois à ne plus savoir exactement où donner de la tête, tout en restant focalisé sur le but ultime de toute formation : mettre en place les conditions et donner l’occasion aux participants d’apprendre.

Il est évident que, si à l’heure actuelle, vos formations consistent simplement à présenter vos diapositives PowerPoint à votre assemblée, les difficultés à gérer le groupe seront moindres. Toutefois, si vous avez lu quelques uns des articles précédents sur ce blog, vous saurez que je ne suis pas spécialement fan des formations 100% PowerPoint. Cet article concerne donc avant tout les formateurs qui privilégient déjà des dispositifs de formation basés sur des méthodes participatives. Dans ce cas de figure, il existe une solution pour vous faciliter la tâche et permettre d’accroitre l’efficacité de vos séquences d’apprentissage. Il s’agit d’une tactique d’inspiration… musicale !

Comment structurer une séquence d’apprentissage en groupe : la tactique du chef d’orchestre

Ceux qui me connaissent plus personnellement savent que je suis un grand amateur de musique classique, et de chant choral en particulier. Si vous êtes musicien vous-même, je pense que vous comprendrez aisément l’analogie ci-dessous. Une des particularités d’un chœur, ou d’un orchestre, est qu’il pourrait difficilement fonctionner sans l’intervention d’un acteur particulier : le chef ! Figure emblématique de tout ensemble musical, celui-ci assure un rôle déterminant dans la réussite d’une prestation.

Mais quel est donc le rôle du chef d’orchestre (ou du chef de chœur) ? Non seulement il mène et dirige l’ensemble musical, il donne le rythme, mais il met aussi en place les conditions pour favoriser l’harmonie entre les différentes voix et instruments. Et lorsque l’ensemble musical découvre une nouvelle partition pour la première fois, le chef utilise généralement une séquence d’apprentissage relativement segmentée :

  1. Certains chefs demandent à leurs musiciens de déchiffrer la partition chez eux au préalable, avant toute répétition (préparation individuelle).
  2. Une fois réunis en groupe, le chef répète une partie de la partition avec une famille d’instruments ou de voix (répétition en sous-groupes). Ainsi, dans un chœur polyphonique, la partition sera d’abord parcourue avec les Soprani, puis les Alti, les Ténors et enfin les Basses.
  3. Ensuite, une fois que chaque instrument ou que chaque voix connait sa partie, le chef répète avec l’ensemble (répétition en grand groupe). Dans un chœur, c’est à cette étape que les 4 voix sont réunies. Avant un concert, c’est généralement l’étape de la répétition générale avant prestation.

Dans le cas de l’apprentissage d’une longue partition (comme un opéra, une symphonie), le chef ne répète pas directement l’ensemble de celle-ci. Il procède à un découpage de l’œuvre, dont chaque partie sera abordée lors de répétitions différentes. Si le chef ne procédait pas à cette segmentation des séquences, il y a fort à parier que les musiciens seraient plongés en plein chaos et n’arriveraient pas à assimiler leurs partitions, en raison de la complexité de cet exercice. Il en va de même pour vos apprenants en formation !

Pourquoi segmenter et structurer une séquence d’apprentissage ?

Toutes les activités d’apprentissage partagent cette même caractéristique : celle d’être séquentielles. C’est-à-dire que pour réaliser un objectif d’apprentissage, celui-ci doit être divisé en sous-étapes afin de faciliter l’assimilation chez l’apprenant. Personnellement, j’observe deux raisons pour lesquelles il me semble indispensable de structurer les séquences d’apprentissage en contexte de formation :

1. Pour éviter de perdre vos apprenants

Vous avez peut-être encore tous ce souvenir du bon vieux prof d’univ complètement déluré qui nous déverse son flot ininterrompu de matière avec 30 slides à la minute. Résultat des courses pour l’apprenant avec cette technique : 0% d’apprentissage, 100% de démotivation et 300% d’envie de ne plus revenir au prochain cours.

Il s’agit d’un phénomène cérébral qu’on appelle scientifiquement la surcharge cognitive. Comprenez par là simplement le fait que si on bourre le cerveau de nos apprenants de manière exagérée, sans leur laisser le temps de s’imprégner de la matière, on risque fortement de provoquer chez eux une indigestion en béton. Tout comme le chef d’orchestre en répétition, le fait de segmenter vos séquences d’apprentissage, pas-à-pas, permet d’éviter de tomber dans ce piège.

2. Pour éviter de vous perdre vous-même

Si le but de segmenter vos séquences d’apprentissage sert en priorité à faciliter la vie de vos apprenants, vous pourrez constater que cette tactique aura également une influence positive sur vous (surtout si vous êtes encore formateur débutant). Le fait de préparer vos séquences d’apprentissage vous permettra de bénéficier d’une balise, ou bouée de sauvetage, et de vous y référer tout au long du parcours pour être sûr de ne pas dévier outre mesure de votre trajectoire. Un peu comme un fil conducteur, en vue de réaliser et atteindre vos objectifs pédagogiques : cela vous donne un canevas, une structure à laquelle vous avez la possibilité de vous raccrocher.

4 étapes pour segmenter et structurer une séquence d’apprentissage en présentiel ou en ligne

Dans un parcours de formation, le formateur joue donc un peu le même rôle qu’un chef d’orchestre : c’est à lui que revient la tâche de donner le rythme (instaurer une dynamique de groupe positive) et de favoriser l’harmonie en accordant chaque voix et instrument (les participants en formation). En admettant que votre rôle en tant que formateur soit effectivement comparable à celui d’un chef d’orchestre, comment dès lors pouvez-vous mettre en place les conditions favorables à l’apprentissage de vos participants ?

Une technique pédagogique consiste à segmenter vos séquences d’apprentissage, afin d’éviter de provoquer le phénomène de surcharge cognitive chez vos apprenants. Notez que cette technique est valable aussi bien pour les formations présentielles que pour les formations mixtes ou en ligne. Cette technique se divise en quatre étapes, que je vous invite à découvrir ci-dessous.

1. Réflexion et préparation individuelle

Tout comme le chef d’orchestre demande parfois aux musiciens de préparer leur partition chez eux à l’avance, commencez votre activité d’apprentissage par demander aux participants de préparer individuellement l’activité sur base du matériel pédagogique fourni. Cette étape peut se dérouler soit avant la journée de formation présentielle – par exemple dans le cas d’une formation mixte (blended learning) – soit au début de chaque activité le jour même.

Le fait de laisser aux apprenants un espace pour réfléchir et préparer individuellement le contenu est d’autant plus important que cela permettra des échanges plus riches et mieux construits dans les étapes qui suivent. Notez que cette tactique du chef d’orchestre peut également être couplée à un feedback ou débriefing d’activité pédagogique, et vous permettra ainsi d’éviter une erreur qui pourrait vous être fatale en animation.

2. Partage en binômes (ou en trinômes)

Une fois la première étape terminée, invitez les participants à partager et échanger leurs réflexions en binômes (à adapter en fonction du nombre de participants présents, de la difficulté et du temps imparti). Gardez à l’esprit que, au-delà de trois participants, les échanges seront plus difficiles, en raison de contraintes de dynamique de groupe qui peuvent s’installer et de l’aisance relative de chacun à prendre la parole pour s’exprimer.

Pour poursuivre l’analogie avec le chef d’orchestre, il s’agit ici de la phase où celui-ci répète à voix/instruments séparés, avant de conjuguer les efforts de chacun et créer l’harmonie. Cette phase de partage et d’échange permettra aux apprenants de confronter leurs points de vue, constater des différences d’opinions et découvrir des éléments auxquels ils n’avaient pas pensé à priori. En termes socio-constructiviste, on appelle ce phénomène le fait de susciter des conflits socio-cognitifs.

3. Synthèse en sous-groupes

Lorsque vos binômes (ou vos trinômes) on terminé de partager et d’échanger leurs réflexions, invitez-les à se réunir en sous-groupes. Demandez leur de réaliser une synthèse des échanges réalisés lors de l’étape précédente. Veillez donc à ce que les sous-groupes soient réunis autour d’une question ou d’une thématique commune, afin d’être le plus homogène possible.

Cette synthèse peut prendre différentes formes, de la plus simple (aucune production particulière) à la plus élaborée (réalisation d’une carte mentale sur un poster A1). Invitez également chaque sous-groupe à désigner un rapporteur (ou porte-parole) pour la dernière étape.

4. Diffusion et présentation en grand groupe

Inviter chaque rapporteur (ou porte-parole) à présenter la synthèse réalisée en sous-groupe. Limitez les partages dans le temps pour éviter tout débordement (ou monopolisation de la parole au détriment d’autres groupes) et demandez d’être aussi concis que possible. Pour être sûr que le rapporteur ait reflété une synthèse cohérente par rapport aux échanges effectués en sous-groupes, demandez éventuellement aux autres participants s’ils souhaitent rajouter ou compléter les propos tenus par le rapporteur. Cette étape permet d’aller encore un cran plus loin que la phase précédente en terme d’apprentissage social.

Enfin, si vous souhaitez vous-même compléter les fruits des partages précédents, veillez à ne le faire que lorsque TOUS les participants se sont exprimés. Et, de préférence, faites le de manière bienveillante en mettant l’accent sur le fait que vous complétez ce qui a été dit. En effet, si vous corroborez le résultat des échanges, vous risquez d’induire de la frustration au sein du groupe.

Mettez-vous à la place des apprenants : si tout d’un coup, au bout de 45 minutes de partage et d’écoute, vous leur sortez quelque chose du genre « Oui ok, mais en fait ce que vous venez de dire n’est pas la bonne réponse », ils pourraient légitimement se demander à quoi bon avoir fait tant de travail en amont. Ma recommandation pour cette étape : attention au syndrome du prof qui sommeille en vous !

Les quatre étapes pour structurer une séquence d'apprentissage en groupe. Image représentant les quatre étapes à suivre pour segmenter et structurer une séquence d'apprentissage (réflexion et préparation individuelle, partage en binômes ou en trinômes, synthèse en sous-groupes, diffusion et présentation en grand groupe). Image sous licence CC-BY, réalisée par David Vellut, psychologue, conseiller pédagogique et médiateur scientifique en psychologie.
Les quatre étapes pour structurer une séquence d’apprentissage en groupe. Image sous licence Creative Commons (CC-BY).

Pour structurer une séquence d’apprentissage, les 4 étapes sont-elles toutes nécessaires ?

Tout dépend de la charge de travail, du groupe et du timing imposé. Personnellement j’aime bien respecter ce schéma au maximum. À mon sens, la seule étape absolument indispensable consisterait au moins à réaliser une présentation en grand groupe (étape 4).

Concernant la synthèse par le formateur, je ne la recommanderais pas dans le cadre de formations comportementales et relationnelles, car il est très difficile et délicat d’établir une seule et unique réponse (plusieurs réponses sont souvent possibles, et il n’y en a en tout cas pas de mauvaises). Elle peut également être vue comme une source de manipulation. Donc, si vous devez en laisser tomber une et trouver un compromis, faites l’impasse sur cette dernière étape, sans hésiter.

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