De manière caricaturale, les êtres humains fonctionnent comme des batteries : tant qu’ils ont de l’énergie, ils fonctionnent… et quand il n’en on plus, ils cessent de fonctionner, CQFD ! Pour recharger nos batteries, nous mettons en place toute une série de stratégies : soirées entre amis, week-ends à la campagne, vacances à la mer… Pourtant, nous investissons tous les jours un temps considérable dans notre activité professionnelle. Une autre question s’impose donc : est-il possible de gérer son énergie au travail, sans attendre la fin de journée ou le week-end pour récupérer ?
Ce qui draine notre énergie au travail et ce que nous mettons en place pour recharger nos batteries
Dans leur recherche publiée en 2011, Charlotte Fritz (Université d’état de Portland), Chak Fu Lam et Gretchen Spreitzer (Université de Michigan) pointent plusieurs éléments qui participent à la perte d’énergie au travail((Fritz, C., Fu Lam, C. & Spreitzer, M. (2011). It’s the little things that matter: An examination of knowledge workers’ energy management. Academy of Management Perspectives, 25(3), 28-39.)) :
- Les horaires imposés par l’employeur laissant peu de temps et de place pour permettre aux collaborateurs de recharger leurs batteries,
- Le fait d’être connecté 24h/24 (smartphones, emails, messageries instantanées…),
- La pression constante des organisations pour rester productives et compétitives.
Parmi les stratégies mises en place de manière régulière pour récupérer de l’énergie, notons entre autre le fait de :
- Déconnecter : prendre le temps en dehors des horaires de travail (soirées, week-ends…) pour souffler. Cela permet non seulement de récupérer de l’énergie, mais aussi de favoriser l’engagement et les comportements proactifs le jour suivant ;
- Méditer et/ou se relaxer : pratiquer des techniques de relaxation et/ou de méditation permet de prendre du recul. Ces techniques nous aident à d’adopter une posture de détachement vis-à-vis du contexte professionnel ;
- Bien dormir : si on les compare à des personnes qui ont peu ou mal dormi, les employés qui bénéficient d’un sommeil de qualité durant la nuit rapportent des niveaux d’énergie plus élevés le lendemain.
Pourtant, même en combinant ces stratégies, il y a de fortes probabilités que les niveaux de vitalité et d’énergie des collaborateurs soient complètement à plat en fin de semaine. Faut-il dès lors augmenter leurs temps « off » ? Leur apprendre à mieux se relaxer et à mieux dormir ? Ou alors – comme le suggèrent John Trougakos et Ivona Hideg((Trougakos, J.P. & Hideg, I. (2009). Momentary work recovery: The role of within-day work breaks. In S. Sonnentag, P.L. Perrewé & D.C. Ganster (Eds.), Research in Occupational Stress and Well-Being (pp. 37-84). Bingley, UK: Emerald Group Publishing Limited.)) – serait-il possible de mieux gérer son énergie au travail, sans attendre le soir ou le week-end pour recharger ses batteries ?…
Gérer son énergie au travail : quelles stratégies mettre en place pour récupérer en cours de route ?
Avant d’aller plus loin, la littérature scientifique distingue – de manière caricaturale – deux types de stratégies que les collaborateurs mettent en place pour récupérer de l’énergie durant les journées de travail : les micro-pauses et les pauses liées au travail.
- Les micro-pauses sont des pauses qui ne sont pas directement liées à la réalisation du travail en tant que tel (manger un snack, boire un verre d’eau, se lever de sa chaise et s’étirer…),
- Les pauses liées au travail, comme leur nom l’indique, sont des stratégies que les collaborateurs mettent en oeuvre pendant la réalisation du travail (lister des tâches à réaliser, changer de tâche en cours, parler à un collègue…).
Cette distinction étant faite, examinons les résultats de deux recherches qui se sont intéressées à l’utilisation de ces stratégies.
1. L’importance des stratégies liées à l’apprentissage, au sens et aux relations
Reprenons la recherche publiée en 2011 par Fritz et ses collaborateurs. Dans celle-ci, ils explorent les liens entre les deux types de pauses avec les niveaux de vitalité et de fatigue des employés. Pour mener à bien leur expérience, ils ont recruté un échantillon de 214 employés à qui ils ont fait passer un questionnaire.
Voici un classement des dix stratégies le plus souvent rapportées par les participants à l’étude, selon qu’elles appartiennent à la catégorie des micro-pauses ou des pauses liées au travail :
- Top 5 des micro-pauses : (1) boire un verre d’eau, (2) manger un snack, (3) passer aux toilettes, (4) boire un thé ou un café, et (5) réaliser toute forme d’activité physique (marche, stretching…).
- Top 5 des pauses liées au travail : (1) vérifier ses courriers électroniques, (2) changer de tâche, (3) lister des tâches à réaliser, (4) offrir son aide à un collègue, et (5) parler à un collègue ou un superviseur.
Toutefois, si ces stratégies sont les plus fréquemment citées par les participants, ils observent que ce ne sont pas nécessairement les plus efficaces. Ainsi, aucune des cinq pauses liées au travail citées ci-dessus n’est associée à une augmentation du niveau de vitalité, ou une diminution du niveau de fatigue. Dans le cas des micro-pauses, on observe même que – contrairement aux croyances populaires – (2), (3) et (4) sont associées à une augmentation du niveau de fatigue… c’est dire !
Si les stratégies les plus communes ne sont pas les plus efficaces, quelles sont donc celles qui fonctionnent le mieux ? Et bien, curieusement, les stratégies les moins utilisées et rapportées par les participants, à savoir :
1. Apprendre quelque chose de nouveau,
2. Se concentrer sur ce qui apporte de la joie (bonjour Marie Kondo !),
3. Se fixer un nouvel objectif,
4. Réaliser quelque chose qui pourrait rendre un collègue plus heureux,
5. Faire preuve de gratitude auprès d’un collègue,
6. Chercher du feedback,
7. Réfléchir à comment je fais une différence au travail,
8. Réfléchir au sens que je donne à mon travail.
De manière générale, les résultats de cette recherche semblent donc nous indiquer que :
- Les employés ne mettent pas nécessairement en oeuvre les stratégies les plus efficaces pour mieux gérer leur énergie au travail.
- On observe une tendance à mettre des stratégies en place en croyant qu’elles sont efficaces, alors qu’elles ne le sont pas, indiquant un manque de connaissance de soi (« self awareness »).
- Les micro-pauses semblent davantage liées à une diminution du niveau de vitalité et une augmentation du niveau de fatigue.
- Au contraire, plusieurs pauses liées au travail – en particulier les stratégies tournées vers l’apprentissage, la recherche de sens et les relations positives – semblent davantage liées à une augmentation du niveau de vitalité et une diminution du niveau de fatigue.
2. Les micro-pauses semblent aussi avoir leur importance, mais pas au même niveau
Quelques années après la précédente étude, Hannes Zacher (Université de Groningen), Holly Brailsford et Stacey Parker (Université de Queensland) tentent d’approfondir cette dualité entre micro-pauses et pauses liées au travail((Zacher, H., Brailsford, H.A. & Parker, S.L. (2014). Micro-breaks matter: A diary study on the effects of energy management strategies on occupational well-being. Journal of Vocational Behavior, 85(3), 287-297.)). Mais, contrairement aux autres chercheurs, ils décident de changer de méthode. Plutôt que de demander à leurs sujets de compléter un seul questionnaire à un moment T, ils leur envoient un premier questionnaire en début de journée. Puis, heure par heure, ils leur font parvenir un questionnaire leur demandant d’indiquer le type de pauses mises en oeuvre, leur niveau de fatigue et leur niveau de vitalité.
Et là, surprise ! Leurs résultats semblent indiquer que les micro-pauses ont quand même bel et bien un effet à court terme sur le bien-être des employés. L’usage de micro-pauses semble ainsi réduire les niveaux de fatigue et augmenter les niveaux de vitalité. Les pauses liées au travail, quant à elles, ne semblent avoir aucun effet majeur à court terme.
Pourquoi les résultats des deux études diffèrent-ils ? Deux explications d’ordre méthodologique
Nous faisons face ici à une situation des plus courantes dans la recherche scientifique. Une équipe de recherche A obtient un résultat X. Puis une équipe de recherche B tente de répliquer les résultats de l’équipe A mais obtient des résultats Y. Face à ces résultats contradictoires, deux explications (non exhaustives) d’ordre méthodologique.
1. Une différence de méthodes
Si leur but est relativement similaire, les deux équipes de recherche ont toutefois employé des méthodes différentes pour mesurer la gestion de l’énergie au travail.
- Fritz et ses collaborateurs (2011) ont utilisé une enquête par questionnaire, avec une seule et unique passation. Les participants de leur étude n’ont donc fourni qu’une seule série de mesures.
- Au contraire, Zacher et ses collaborateurs (2014) ont utilisé plusieurs enquêtes par questionnaire réparties tout au long d’une journée.
2. Une différence d’échantillons
Pour chaque équipe, les échantillons sont limités (en termes de tailles) et composés de participants issus de publics spécifiques.
- L’échantillon de l’équipe de Fritz et ses collaborateurs est composé de 214 employés issus d’une entreprise de développement de logiciels située aux USA.
- L’échantillon de l’équipe de Zacher et ses collaborateurs est, quant à lui, composé de 124 employés issus d’une université située en Australie.
Ces échantillons de tailles limitées ne permettent donc pas de généraliser les résultats à une population plus large. Et malgré une certaine proximité culturelle entre les USA et l’Australie, les participants sont issus d’environnements professionnels différents. Ainsi, la culture d’une entreprise de développement de logiciels n’est probablement pas la même qu’une université. En raison de cette différence, les employés ne mettent peut être pas en œuvre les mêmes types de comportements.
Pour gérer son énergie au travail, vaut-il mieux utiliser des micro-pauses ou des pauses liées au travail ?
Les deux types de stratégies ont probablement des effets bénéfiques sur le bien-être des collaborateurs et des collaboratrices. Mais quoiqu’il en soit, leur niveau de bien-être a tendance à augmenter lorsqu’ils s’engagent dans des activités prosociales.
La question se pose donc : laquelle de ces stratégies est la plus efficace pour gérer son énergie au travail ? Sans doute les deux, mais pas au même niveau. Zacher et ses collaborateurs proposent d’y répondre en formulant l’hypothèse suivante : les deux types de stratégies de gestion de l’énergie ont probablement des effets bénéfiques sur le bien-être des employés.
- Les micro-pauses permettraient ainsi d’obtenir des effets bénéfiques sur le court terme (par ex. d’heure en heure tout au long d’une journée).
- Les pauses liées au travail, permettraient, quant à elles, de favoriser le bien-être dans une perspective à moyen ou long terme.
Quoiqu’il en soit, que ce soit à court terme ou à long terme, le niveau de bien-être des employés a tendance à augmenter lorsqu’ils s’engagent dans des activités prosociales (offrir son aide, parler à un collègue…).
Enfin, notons que les résultats des deux recherches principales abordées ici sont issus de mesures d’association (ou de corrélations, si vous préférez) : il n’y donc pas nécessairement de liens de cause à effet.
En résumé
- Nous avons tendance à fonctionner comme des batteries : une fois notre énergie épuisée, nous avons besoin de nous recharger pour être à nouveau performants. Pour récupérer des journées et des semaines de travail, nous mettons en oeuvre plusieurs stratégies : déconnexion, relaxation, sommeil…
- Malgré la mise en place de telles stratégies, les niveaux de vitalité et d’énergie ont tendance à tomber à plat rapidement. Pour favoriser notre bien-être et maintenir ces niveaux de vitalité, nous pouvons mieux gérer notre énergie durant les journées de travail, en plus des temps de récupération en dehors des horaires de travail.
- Pour ce faire, deux types de stratégies peuvent être mises en place : les micro-pauses et les pauses liées au travail. L’utilisation combinée de ces deux types de stratégies pourrait être bénéfique, mais pas nécessairement au même niveau : les micro-pauses seraient plus efficaces à court terme, alors que les stratégies liées au travail permettraient de favoriser le bien-être à moyen ou long terme.