Que l’on se trouve en situation d’enseignement ou d’apprentissage – et que ce soit en contexte de formation initiale ou continue –, une question fondamentale se pose à nous : comment arriver à faire rentrer la matière pour que nous puissions nous en souvenir de manière durable dans le temps ? Question légitime, et pas nécessairement mauvaise… mais peut-être existe-t-il une meilleure question à se poser : pour pouvoir mieux « faire rentrer » la matière, ne serait-il pas plus opportun de tenter de la « faire sortir » ? C’est l’objet d’une des stratégies d’apprentissage les plus efficaces à ce jour : il s’agit de la pratique de récupération.
Qu’est-ce que la pratique de récupération et quels en sont les bénéfices au niveau des apprentissages ?
Même si les mentalités et les pratiques pédagogiques évoluent, quand on pense à l’enseignement et à l’apprentissage, on se pose encore naturellement la question de savoir comment transmettre des contenus ou des informations auprès de notre communauté d’apprentissage. La pratique de récupération va à contre-courant. Elle invite plutôt à se poser la question : « Comment permettre aux membres de ma communauté d’apprentissage de faire sortir l’information ? »1
En ce sens, la pratique de récupération se conçoit comme une stratégie d’apprentissage centrée sur les étudiantes et les étudiants. Elle vise à créer les conditions pour permettre aux individus de se rappeler, de reconnaitre et de reconstruire le souvenir construit sur base des connaissances développées durant leur apprentissage de départ. On a pu observer que la pratique de récupération améliore les apprentissages dans une large variété de contextes éducatifs, quel que soit le type de contenu enseigné et quel que soit le format. Les recherches sur la pratique de récupération ont permis de mettre en évidence de manière significative des bénéfices pour l’apprentissage, que ce soit dans l’enseignement primaire, secondaire ou supérieur.2
En particulier, trois bénéfices semblent émerger quant à l’utilisation de la pratique de récupération :
1. La pratique de récupération améliore la rétention et le transfert des apprentissages
Lorsqu’on la compare avec des stratégies d’apprentissage plus traditionnelles (qui n’impliquent pas de rappel actif des informations apprises), la pratique de récupération semble générer des souvenirs plus accessibles et plus durables. On observe ainsi que les individus qui utilisent la pratique de récupération se rappellent mieux et plus facilement des informations que les individus qui n’y ont pas recours. La pratique de récupération permettrait ainsi d’améliorer la rétention des informations sur des périodes allant de plusieurs mois à plusieurs années.3
En outre, elle permettrait également de favoriser le rappel d’informations non liées à l’apprentissage de départ (comme d’autres connaissances préalables) et de favoriser ainsi les connexions entre celles-ci. Et même si le transfert des apprentissages reste un Saint Graal que nous n’avons pas encore réussi à décoder, la pratique de récupération semble constituer un composant essentiel de celui-ci. Elle permettrait ainsi de produire des connaissances non directement liées à l’apprentissage de départ et pouvant être transférée dans des contextes différents. Par exemple, dans l’apprentissage à la résolution de problèmes procéduraux, le fait d’utiliser la pratique de récupération permet de construire un schéma mental qui, à force de répétition, développerait la capacité à pouvoir résoudre d’autres problèmes similaires.4
2. La pratique de récupération favorise la métacognition
Pour atteindre un résultat souhaité, les apprenantes et les apprenants ont besoin de pouvoir contrôler leur processus d’apprentissage. Au-delà de ses effets bénéfiques sur la rétention, la pratique de récupération semble également porter ses fruits au niveau du développement des compétences métacognitives. Le fait de s’engager activement dans une pratique de récupération (plutôt que de simplement lire ou relire la matière) permettrait aux individus de pouvoir mieux s’autoréguler en identifiant où ils se situent dans ce processus et d’ajuster le tir le cas échéant. Cela leur permettrait une meilleure réflexion quant aux connaissances développées et d’identifier les sujets qui nécessitent encore des clarifications.5
Lors d’une intervention visant à expliquer l’importance de la métacognition et d’avoir recours à des stratégies d’apprentissage efficaces (comme la pratique de récupération), les individus démontrent de meilleures capacités de jugement quant à leurs connaissances effectives. En outre, ils ont davantage recours à la pratique de récupération que les individus n’ayant pas bénéficié de cette intervention, et ils démontrent une meilleure prise de conscience des stratégies d’apprentissage utilisées. Comme nous le verrons par après, on peut déjà constater l’importance d’un élément non négligeable dans le processus : la présence de feedback qualitatifs et réguliers.6
3. La pratique de récupération permet de mieux faire face au stress
Les études montrent un effet négatif du stress sur les apprentissages. En particulier, le stress détériore fortement le rappel en mémoire : plus on ressent du stress, plus on aura de difficultés à se souvenir des informations nécessaires et pertinentes (par exemple lors d’un test ou d’un examen). Mais il semble que la qualité de l’encodage durant la période d’apprentissage initial joue un rôle important dans ce processus. Ainsi, lorsqu’on effectue un test de rappel chez des individus en situation de stress, on observe que ceux qui ont étudié en utilisant la pratique de récupération obtiennent de meilleurs résultats que ceux qui ont étudié de manière traditionnelle.7
La pratique de récupération semble donc constituer une stratégie d’apprentissage intéressante. En renforçant l’encodage des informations initiales en mémoire, elle permettrait de protéger celle-ci contre les effets indésirables du stress. En comparaison avec des stratégies d’apprentissage plus classiques et moins efficaces (comme simplement lire ou relire la matière), le fait d’activement exercer un rappel en mémoire consoliderait les connexions entre les concepts appris. Cela permettrait ainsi de créer également plusieurs chemins en mémoire pour accéder aux connaissances. Plus on répète ce processus, plus on crée de chemins différents, un peu comme si on se constituait mentalement un plan B, C, D… pour mieux accéder à l’information. En condition de stress, si on oublie le chemin A, il nous resterait ainsi d’autres chemins pour atteindre l’information, ce qui semble moins le cas avec des stratégies d’apprentissage traditionnelles.
Comment favoriser de meilleurs apprentissages : 4 principes pour implémenter la pratique de récupération
De base, la pratique de récupération n’est pas une stratégie difficile à mettre en place. Chacune et chacun peut facilement l’implémenter, que ce soit dans une démarche d’apprentissage personnelle ou dans une démarche d’enseignement (en tant que formateur, formatrice ou membre du corps enseignant). On peut représenter la pratique de récupération comme une stratégie composée de quatre blocs (ou principes) fondamentaux. Lorsqu’on les empile les uns sur les autres, ces blocs permettent de construire les fondations visant à créer et réactiver des schémas mentaux durables. Ces quatre principes sont : tester, répéter, espacer et prévoir des feedback.8
1. Se tester pour consolider les acquis
Le principe essentiel de la pratique de récupération consiste à se tester sur base de la matière à assimiler ou des compétences procédurales à acquérir. Ceci va permettre de se créer un schéma mental. Le fait de réactiver ce schéma mental permettra une meilleure consolidation, ce qui favorisera une meilleure rétention en mémoire à long terme. Plusieurs formats de tests peuvent prendre forme : du simple quiz aux questions à choix multiples, en passant par des exercices pratiques d’application, des flashcards ou encore l’évaluation par les pairs. La simple technique du rappel libre (free recall ou brain dump) peut déjà faire l’affaire, en essayant de se remémorer activement la matière étudiée sans utiliser de notes, ni de matériel pédagogique éventuel. Cette technique peut se réaliser avec ou sans indices (le plus efficace étant de le faire sans indices).
2. Répéter pour encore mieux reconsolider
Plus on fait appel à la pratique de récupération, plus on consolide le schéma mental. Et plus on répète le processus (en incluant notamment de nouvelles informations), plus on crée de connexions entre les concepts et plus le schéma s’enrichit et se renforce. On appelle reconsolidation ce phénomène par lequel on réactive et on met à jour ses souvenirs. Le nombre de répétitions nécessaires à une rétention à long terme dépend de la quantité, de la complexité et de la nature du matériel à apprendre. Difficile donc de vous donner une recette toute faite ou de vous donner un nombre minimum de réactivations pour garantir un certain niveau de rétention. Tout dépendra entre autres de la matière à étudier et des caractéristiques propres à chacune et à chacun (notamment les niveaux de prérequis, d’intérêt, etc.).
On peut toutefois observer que, suivant les matières et les individus, la pratique de récupération finit par atteindre un seuil au-delà duquel ses bénéfices deviennent marginaux. On peut l’expliquer en raison du manque de nouveauté : plus on répète le matériel, moins il nous apparait comme neuf, ce qui n’engendrerait plus suffisamment de reconsolidation. C’est à ce moment là que l’effet d’espacement prend le relais…
3. Espacer pour favoriser la rétention
En faisant abstraction de toute stratégie d’apprentissage en particulier, on observe déjà que le simple fait d’espacer des sessions d’étude améliore les apprentissages. Combiné à la pratique de récupération, on constate alors que cet effet d’espacement produit des résultats non négligeables, à condition de trouver l’intervalle optimal entre les session. Mais, comme pour le point précédent, il n’existe pas de baguette magique ni de solution miracle.
Selon les études, on pourrait préconiser des intervalles plus court au début de la période d’apprentissage (lorsque le matériel est encore totalement ou partiellement neuf). Puis, au fur et à mesure, on pourrait espacer davantage ces intervalles dans le temps afin de favoriser la rétention sur des périodes de plus en plus longues (plusieurs mois, voire plusieurs années). C’est ce qu’on appelle des intervalles de récupération étendus. Au-delà de ses effets bénéfiques au niveau des apprentissages, le fait d’espacer les sessions permettra également aux apprenantes et aux apprenants d’éviter la surcharge cognitive.
4. Prévoir des feedback pour développer la métacognition
En tant que tel, le feedback n’est pas nécessaire stricto sensu pour implémenter la pratique de récupération. Cependant on observe que la présence de feedback permet d’améliorer de manière significative ses effets. De plus, d’un point de vue pédagogique, inclure des feedback permettra aux apprenantes et aux apprenants de mieux se positionner vis-à-vis de leurs apprentissages.
On peut d’ailleurs observer que, face à des feedback correctifs, les individus font preuve d’une meilleure reconsolidation. Cela peut s’expliquer par le fait que les feedback permettent à ceux-ci de monitorer leurs apprentissages. Dit autrement : cela leur permet de savoir où ils en sont, de pointer les éléments déjà bien assimilés et de mettre en évidence les zones d’ombre qui nécessitent une meilleure étude de leur part. En ce sens, les feedback permettent de développer leurs compétences métacognitives en prenant du recul sur leur situation à un moment donné (et de pouvoir éventuellement ajuster le tir si le besoin s’en fait sentir).
La pratique de récupération : Saint Graal des stratégies d’apprentissage ?
Quand on la compare à des stratégies d’apprentissage plus superficielles (comme simplement lire ou relire la matière), la pratique de récupération apparait clairement comme une stratégie d’apprentissage efficace. Et même s’ils semblent apporter une réelle valeur ajoutée à la pratique, on observe déjà des résultats intéressants sans la présence de feedback. Si le temps ou les moyens vous manquent, vous pourriez donc déjà mettre en place la pratique de récupération dans vos apprentissages ou vos enseignements, sans viser plus loin pour commencer. L’important consiste ici à tester la pratique – sans viser la perfection – quitte à la faire évoluer au fur et à mesure en fonction de vos besoins.9
Si vous comptez l’utiliser en situation d’enseignement, veillez toutefois à ce que cette pratique soit annoncée de manière explicite et transparente. Vos apprenantes et vos apprenants devraient savoir, en amont, si les tests menés auront une visée formative ou certificative (vont-ils ou non compter pour des points ?).10
Enfin, malgré son efficacité, deux éléments devraient retenir votre attention.11 Pour réussir à implémenter la pratique de récupération au sein de votre communauté d’apprentissage, il semble nécessaire de :
- Tenir compte des croyances des apprenantes et des apprenants. Malgré les effets positifs de la pratique de récupération sur le développement des compétences métacognitives, les individus n’ont pas nécessairement conscience, dès le départ, des bienfaits de cette pratique. De plus, même s’ils comprennent l’intérêt de la pratique de récupération et s’ils reconnaissent son efficacité, ils auront naturellement tendance à s’engager dans des stratégies d’apprentissage moins efficaces.
- Prévoir un soutien pédagogique. À moins que vos apprenantes et vos apprenants aient déjà développé des compétences métacognitives hors du commun, la grande majorité aura besoin de tutorat ou d’accompagnement. En effet, peu d’individus disposent naturellement d’une capacité à bien s’autoréguler de manière isolée. Plus que jamais, les membres de votre communauté d’apprentissage auront besoin d’une personne de référence. À vous, en tant qu’enseignante ou enseignant (ou en tant que formateur ou formatrice), d’incarner ce rôle et d’apporter votre plus-value à ce niveau.
Quid si vous vous trouvez dans une démarche d’apprentissage personnel et que vous ne bénéficiez pas de tutorat ? Une piste de solution consisterait à essayer de constituer un groupe de pairs qui suivent des objectifs d’apprentissage identique. Non seulement cela vous permettra d’éviter l’isolement, mais cela vous permettra aussi d’avoir d’autres personnes qui comptent sur vous et sur lesquelles vous pouvez compter.
En résumé
- La pratique de récupération est une stratégie d’apprentissage centrée sur les étudiantes et les étudiants. Elle vise à créer les conditions pour permettre aux individus de se rappeler, de reconnaitre et de reconstruire le souvenir construit sur base des connaissances développées durant leur apprentissage de départ.
- Pour créer des schémas mentaux durables, la pratique de récupération nécessite de mettre en place quatre principes fondamentaux : tester, répéter, espacer et prévoir des occasions de feedback.
- Malgré son efficacité, la pratique de récupération a peu de chances d’être adoptée spontanément par les membres d’une communauté d’apprentissage. Elle nécessite ainsi un suivi, un soutien et un accompagnement pédagogique de la part d’un membre du corps enseignant.
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